Quel retard colossal…

Je ne trouve décidément pas le temps de t’écrire. Tu es une chipie qui dort toujours peu en journée (1h30 grand maximum et encore, les jours de fêtes seulement !), me tenant loin de l’ordinateur. En ce moment, Papa Fred te donne ton biberon et me voilà autorisé et disponible Tu rotes à souhait et…


Je ne trouve décidément pas le temps de t’écrire. Tu es une chipie qui dort toujours peu en journée (1h30 grand maximum et encore, les jours de fêtes seulement !), me tenant loin de l’ordinateur. En ce moment, Papa Fred te donne ton biberon et me voilà autorisé et disponible Tu rotes à souhait et me fais des risettes depuis l’épaule de ton papa. Je suis COM-BLE !
Tu as 4 mois depuis vendredi (nous sommes dimanche) et tes changements s’accumulent à une vitesse folle. J’ai moi-même du mal à suivre ! Par où commencer ? Peut-être par un thème que je n’ai pas encore abordé avec toi.
Nous avons officiellement annoncé lequel de tes papas a utilisé sa graine pour te donner la vie. Il s’agit de ton papa Fred, tu le sais, bien entendu, mais il nous a fallu quelques mois avant de franchir le cap de le dire. Notamment à ton papy Pierrot et ta mamie Chantal que nous ne voulions pas voir souffrir.
Cette phase d’annonce a commencé plus tôt que prévu. Nous avons en effet participé à un article sur la GPA pour un magazine et avons discuté librement de cette branche génétique cachée avec la journaliste. Taina, c’est son nom, m’avait demandé si ce lien biologique me dérangeait, quelques mois avant ta naissance et j’avais bien sûr répondu que non. A notre retour, celle-ci est venue te rencontrer et ma réponse n’était plus la même.
Tu es née belle, très belle et ceci a poussé les supputations vers ton papa Fred. Je crois réellement que jamais je n’aurais pu te faire aussi magnifique. A peine 1 heure après ta venue au monde, ta mamie Odile disait déjà à demi-mots à ton papa qu’elle savait qui avait utilisé sa graine : « Je me permettrais bien de dire quelque chose ». Tu étais, selon ses dires aujourd’hui, le portrait craché de ton papa Fred. Je voyais bien que mes parents qui étaient à nos côtés dans le Vermont ne découvraient en toi, aucun de mes traits. Seul ton œil fermé à la naissance leur avait laissé un « espoir ». Mais rapidement, ils découvraient en même temps que nous tes traits qui s’affinaient et avec eux, la ressemblance qui s’affirmait.
L’esprit cotonneux des Etats-Unis où tout le monde savait qui était ton papa social et ton papa biologique me plaisait car tous se fichaient éperdument de cette « différence », chacun me regardant comme ton père à part entière. Mais déjà l’avion vers Paris nous attendait et avec lui, bon nombre d’inquiétudes. Les gens sont idiots, méchants, mauvais… quand ils le veulent et l’ouverture d’esprit de ton pays natal n’est pas le point fort de notre société. Je redoutais les conneries, les monstruosités et ma sensibilité a été rapidement touchée par une personne que je ne craignais pas du tout.
Nous étions partis à Nantes pour te présenter à ton parrain, à tes cousin(e)s, tes tatas et tontons. Quelques maladresses ont été prononcées par ta mamie Odile, mais c’est sa meilleure amie, Marie-France, qui a blessé mon cœur. Nous discutions tous les trois avec ton papa quand elle a dit « Je sais qui est le père » avec un ton de connivence et regardant papa Fred. Celui-ci, au lieu d’entretenir le mystère, a, selon moi, fait le coq. Et j’ai souffert, beaucoup souffert. Par cette remarque inutile et bien stupide, mais surtout par le fait que ton papa Fred ne me protège pas. Si Marie-France avait dit « Je sais qui a utilisé sa graine », je n’aurais rien dit puisqu’il s’agit d’une vérité éternelle : tu n’es pas le fruit de ma graine. Mais dire que l’on connaît ton papa signifie que tu n’en as qu’un et cela, je ne peux le tolérer.
Je t’ai attendue, espérée, faite (finalement oui, notre parcours vers toi n’a pas été composé que d’une insémination artisanale, mais de beaucoup d’épreuves et d’étapes franchies à trois. Je me lance rarement de fleurs, mais j’ai apporté ma pierre à ton édification, après tout).
Nous sommes revenus à Paris et je me suis terré trois semaines avec toi, sortant peu, déprimant fortement. Je pleurais souvent, je te regardais et me disais que mon acte généreux avait été une erreur, qu’au lieu d’offrir la chance de ce lien génétique à ton papa Fred, j’aurais dû penser à moi, à mes parents et passer en premier.
Ta tata Audrey m’a ouvert les yeux. Pour elle, j’étais l’initiateur de ta naissance, j’avais porté ce « projet » à bout de bras, contre vents et marées, j’avais tissé tous les liens avec ta maman Re, Fred n’avait que suivi… Elle n’avait pas tort sur certains points, se trompait sur d’autres, mais a eu la meilleure attitude. Au lieu de pleurer sur mon sort, elle m’a mis la vérité en face, sans méchanceté aucune, dans une lumière claire. J’ai dû réagir et parler de mon mal-être à ton papa Fred en lui expliquant que je ne pouvais pas supporter une telle absence de réaction face à une attaque en bonne et due forme. Il a commis l’erreur de prendre avec de la hauteur ma souffrance, redoublant mes pleurs et déclenchant de la colère. Voyant mon état de délabrement, il a heureusement réagi comme je l’espérais. En promettant que jamais ne pourrait remettre ma place de père en question. Que si quelqu’un s’y essayait, il hausserait le ton et couperait même les ponts, si besoin, pour me protéger. Ton papa Fred me fait confiance, sans doute trop confiance, quand il s’agit d’attaques à mon encontre. Il croit que je peux me défendre seul, que je n’ai pas besoin de son aide. Certes, je suis un grand garçon doté d’un verbe certain face à la critique, mais un couple est, pour moi, une équipe. On ne touche pas à l’un de ses membres sans voir l’autre se sentir tout aussi outragé. Ce soutien nouveau, je reprenais confiance.
Ta maman Re m’a fait très rapidement père. En se confiant beaucoup à moi, en prenant soin de moi, en m’incluant toujours et en me disant aussi, quelques jours après ta naissance que j’étais son égal et celui de ton papa Fred. Que certes, je n’avais pas accouché, que je n’avais pas donné ma graine, mais que tu étais autant ma chair que la leur. Je le pense, je le crois. Mon ventre se tord face à tes douleurs, mes nuits sont parsemées de toi qu’il s’agisse de doux rêves ou de terribles cauchemars où je tente de te sauver. Je serai toujours reconnaissant envers ta maman d’avoir eu une telle générosité, celle qui me permet de vivre mon rêve avec toi. Je lui serai autant reconnaissant de cette place chaude et douce qu’elle m’a réservée dans notre aventure.
Et puis, il y a toi. Tu m’as fait père à ton tour. Il t’a fallu une quinzaine de jours pour me rendre différent des autres, spécial, à part, indispensable. La première fois restera gravée en moi. Tu étais en train de câliner ta tata Audrey, couchée face à elle sur ses jambes. J’étais assis en face, de l’autre côté de la table basse et me suis mis à parler. Tu as alors poussé sur tes frêles jambes pour pencher ta tête en arrière et chercher mon visage du regard. J’étais père non par ce petit être que l’on m’a déposé dans les bras, mais par ton amour.
Il me fallait sortir de ma torpeur et affronter le monde. « La meilleure défense est l’attaque » est un adage que je tente d’appliquer afin de protéger mon cœur et j’ai décidé d’annoncer notre absence de lien génétique pour mieux confronter les esprits tordus qui pouvaient nous entourer. J’ai surpris bon nombre de personnes, non par ce fait acquis (tous ceux qui t’ont croisée ont immédiatement trouvé ton nom de famille ou presque), mais par ma démarche. J’ai été un peu trop agressif avec certains comme l’est un animal blessé qui cherche du réconfort et suis désormais plus tendre, plus léger dans cette annonce. Car après tout, je suis fier de mon choix.
Ton lien génétique est mon choix. Je t’ai rêvée pendant si longtemps, j’ai tant fait pour arriver jusqu’à toi, mes parents n’allaient avoir peut-être qu’un seul petit-enfant… la plupart des raisons étaient de mon côté. Mais voilà, ton papa Fred voulait se voir en toi et moi, non, bien au contraire. Il est beau, je ne le suis pas. Il est bon, je ne lui suis pas. Il est sain, j’ai des névroses à foison. Sa famille est une ode au bonheur, la mienne se tire régulièrement une balle dans les pattes. Pourquoi t’infliger tout ceci ? Je vais sans doute le faire avec l’éducation et le quotidien et cela me perturbe grandement. Papy Jean-Fa et Mamie Odile ont fait une telle réussite en ton papa Fred que je me mets une réelle pression pour que tu sois aussi merveilleuse que lui. Tout part très bien, tu es un bijou.
Il nous fallait en parler à nos parents respectifs. Par qui commencer ? Comment s’y prendre ? Le destin a choisi en t’infligeant une maladie (dont je te parlerai plus tard) nous obligeant à enquêter sur ton arbre généalogique. Nous avons donc appelé en urgence ta mamie Odile pour savoir si la thyroïde était une affection fréquente dans la famille, lui disant aussi que tu étais une splendide petite Barreau. Surprise, ravie, touchée, ma belle-mère a été digne de ses travers ouvrant son cœur avec toute la maladresse qu’on lui connaît. Au fil des jours, au fil de nos coups de téléphone, au fil de nos retrouvailles, j’ai compris combien elle était comblée et touchée par mon geste. Inquiète aussi pour mes parents qui déjà perdaient leur espoir initial de me voir à ton origine biologique.
Oui, la ressemble s’accentue chaque heure davantage et je suis aux anges. J’aime ton père plus que tout et le voir en toi est ma plus belle récompense. J’en suis fier, je suis fier de moi, de ce que j’ai fait. D’aucun disent que je me suis sacrifié. Peut-être, mais chaque jour je me félicite de mon choix. Je n’aurais pas pu mieux faire et je trouve que je suis quelqu’un de bien d’avoir privilégié l’homme de ma vie à ma simple personne ou encore à mes parents. Ceci n’est absolument pas une critique envers ton papa Fred. Il aurait sans doute mal vécu la relation fusionnelle que nous avons, toi et moi, si tu avais en plus été de mon sang. Nous ne le saurons jamais et tant mieux.
Allais-je faire souffrir ton papy Pierrot et ta mamie Chantal ? Finalement pas tant que ça puisqu’ils nous ont quittés cet après-midi en nous répétant que cela ne changeait rien du tout pour eux, que tu as toujours été et sera éternellement leur petite-fille. La phrase de mon père résume bien leur état d’esprit : « Nous voulions être grands-parents et avons cru ne jamais le devenir. Nous voulions une petite-fille plutôt qu’un petit-garçon pour cet enfant. Nous voulions être à vos côtés au moment de l’accouchement. Notre Mathilde est belle et adorable. Nous avons donc un beau gâteau grâce à vous et sommes comblés. Savoir que tu as utilisé ta graine, Julien, serait un peu la cerise sur ce gâteau déjà superbe. Mais on croit ne pas se tromper en disant que Mathilde est une petite Barreau ». Ils n’ont pas tort et ont compris ma démarche.
Que va-t-il advenir d’eux ? Ma branche de l’arbre est pourrie par quelques fruits néfastes. Quelles horreurs vont-ils entendre ? Ma mère m’a dit que je ne devais pas m’inquiéter, qu’ils savaient se défendre. C’est vrai, on l’apprend très vite chez les Trubert. Je te chante souvent pour t’endormir une chanson de Céline Dion qui s’appelle « Je sais pas ». Les paroles me semblent très justes, elles résument ce que j’ai pu vivre ou éprouver et le fait que je ne pourrais plus vivre sans toi.
Je vais cesser ici ce message pour dormir un peu. Cette annonce me fera-t-elle retrouver de doux songes ? Mes nuits sont gâchées par des insomnies et des cauchemars te concernant. Heureusement, le matin arrive et tes sourires sont toujours au rendez-vous.
Je t’aime ma chérie. Tu n’es pas de mon corps, mais tu y as une place bien au chaud, dans mon esprit et mon cœur.
Papa Julien

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