Parlons aujourd’hui, ma belle, d’un problème que nous rencontrons depuis quelques mois. J’ai longtemps été ton chouchou pour une raison parfaitement simple : nous passions nos journées ensemble, ne nous quittions pas ou presque… ton cœur semblait trop plein de moi pour accorder la même attention à d’autres. Ton papa Fred, tes grands-parents, ta tatie Riana… tu les aimais tous, leur faisais la fête, leur souriais, mais dans les moments fatidiques, c’était à chaque fois moi que tu réclamais, dont tu semblais avoir besoin.
Ce même besoin était si fort que tu es devenue un « bébé crampon », refusant de me voir quitter la pièce de mi-mars à fin juillet 2008. Une véritable épreuve pour moi tant il était difficile de te calmer quand je devais aller dans la cuisine, aux toilettes, étendre une lessive. Je t’en parlerai plus longuement une autre fois.
Bref, je m’étais habitué à être numéro 1 dans ton palmarès. Ton papa Fred en a souffert rapidement, me disant souvent avec un air triste « elle te préfère ». J’ai essayé de le rassurer en lui expliquant le caractère normal de cette attitude compte tenu du temps que je passais avec toi. Petit à petit, j’ai joué l’intermédiaire pour te convaincre de rester dans les bras de papa Fred. Au début, tu résistais, mais au fil des jours, tu lui as accordé tes faveurs pour mon plus grand plaisir et le sien. L’équilibre était là, mais le mois d’août a matérialisé le début d’une préférence inversée. Ton attitude crampon a eu raison de mon état de forme et nos vacances m’ont montré que j’avais besoin d’être soulagé des tâches quotidiennes. Plus les jours ont avancé et plus ton papa Fred s’est impliqué pour prendre en charge tout ce qu’il y a à faire avec un petit bébé. Je savourais cette égalité face à la gestion des choses matérielles, mais ton regard a changé. Papa Fred est devenu indispensable et je faisais partie du paysage.
Ton entrée en crèche a sonné le glas de ma pole position. Depuis, tu te languis de ton autre papa et me boudes franchement. Pire, tu me tapes régulièrement, me testes sans arrêt, me cherches (mais dans le mauvais sens du terme). Je t’aime, Mathilde, et je souffre vraiment de ceci. J’en parlais avec ta tata Nathalie après un exemple frappant : papa Fred a descendu à la cave nos affaires de ski et tu t’es placée derrière la porte d’entrée de notre appartement en pleurant à chaudes larmes son absence. Je suis venu te voir en te tendant les bras pour te réconforter et tu as préféré te retourner vers la porte pour pleurer. Mon cœur s’est serré. J’ai alors demandé à ta tata Nathalie depuis combien de temps je lui parlais de ta préférence et elle m’a répondu « depuis plusieurs mois ». Oui, cela dure et je me fane comme une fleur que l’on aurait cessé d’arroser.
Je sais que tu m’aimes autant que ton papa Fred, la question n’est pas là, mais j’ai besoin que tu me le montres. Tu le sais sans doute déjà, mais j’adore faire plaisir aux gens. Leur offrir des cadeaux, préparer leurs plats préférés, avoir une petite attention pour chacun… Mais je suis loin d’être canonisable puisque j’aime la reconnaissance contrairement aux saints. Sans attendre que l’on loue ma gloire, j’aime avoir un « merci », un « comme c’est gentil », « adorable » ou autre mot tendre. Là, en ce moment-même, je n’ai rien de tout ceci de ta part et j’ai tendance à baisser les bras. Je me disais que cela te passerait, que tu te rendrais compte du mal que tu me faisais, mais cette situation semble te convenir parfaitement.
Attention, je ne dis pas que tu fais ceci volontairement ! Je me doute bien que tu ne réfléchis pas à comment me faire du mal, que tu suis juste ton envie première, primaire, ton inclination pour ton papa Fred. Mais bon sang ce que c’est dur à encaisser !!
J’ai réfléchi (oh ça oui !) aux raisons qui pourraient te pousser vers lui plus que vers moi et ai réalisé que j’ai eu le mauvais rôle pendant trop longtemps. Presque toutes tes prises de sang, tous tes rendez-vous de pédiatre, tous les médicaments que tu as dû prendre, le thermomètre, les soins dans le nez… plein de choses « violentes » m’ont été réservées, ton papa Fred n’aimant pas ça et me disant « je n’y arriverai pas, fais-le toi ». Tu as été beaucoup malade ces 3 derniers mois et à un moment donné, j’ai vu de la peur dans tes yeux alors que j’allais te soigner. Tu le vivras sans doute avec ton enfant, mais certains gestes indispensables comme prendre la température ou placer un suppositoire sont d’une agressivité incroyable. Plusieurs fois par jour, pendant des jours entiers et souvent même la nuit, j’ai été obligé d’avoir ces gestes de soins et tu semblais croire que je te voulais du mal. J’ai alors décidé d’arrêter d’endurer ceci tout seul et ai exigé (oui, le mot est fort) que ton papa Fred s’y colle aussi. Il essaie, mais sa nature lui fait toujours me demander si je ne peux pas m’en occuper à sa place. Je tiens bon, j’essaie de le conseiller sans être trop directif.
Mais rien à faire. Malgré les soins prodigués par nous deux, tu restes addicted to ton papa Fred. Ça me réjouit dans un sens, mais égoïstement, j’ai aussi envie de ma part du gâteau. Je m’occupe davantage de toi puisque j’ai arrêté de travailler pour toi. Je vais te chercher à la crèche, passe du temps à tes côtés le soir, je te prépare le matin, te nourris… Fred représente sans doute de la nouveauté face à ma tête que tu vois tout le temps. Par cette présence plus forte, je suis en première ligne pour imposer, rappeler, mettre en place des règles. Non, tu n’as pas le droit de toucher à la télévision, à des verres, de jeter nos téléphones portables par terre… Et tu essaies car tu veux t’affirmer ou parce que tu ne comprends pourquoi ceci serait interdit. Donc je fais preuve d’autorité et forcément, papa Fred étant moins présent, il apparaît comme le rigolo qui ne met pas de règles. Pas de doute, il est parfaitement logique de te voir l’attendre avec impatience !
Je ne sais plus trop quoi faire à part être moins présent pour te manquer. Je suis toujours là, je ne te manque donc pas, tu me regardes comme si il était plus que normal que je m’occupe autant de toi. Parfois je me compare à une plante verte… Donc papa Fred va passer plus de temps avec toi et vous serez contraints de passer un cap. Au lieu d’attendre que je pose une règle ou veille à son application, Papa Fred va devoir le faire lui-même. Me valoriser aussi. Je fais parfois des choses pour toi et il en tire, inconsciemment, tout le mérite. Par exemple, je te prépare ton biberon, ton petit plat et le pose en t’attendant. Tu arrives avec ton papa Fred et il prend le biberon dans les mains et te lance un « Regarde ma chérie ce que j’ai pour toi ! ». Ton estomac étant ton point faible, tu le regardes (le biberon et ton papa Fred) comme le messie et je suis à côté en train de grogner dans mon coin car cela aurait dû être MON succès.
Enfin, tout ceci me paraîtra sans doute ridicule d’ici quelques mois, mais actuellement je souffre de cette inégalité franche. Même notre entourage s’en rend compte. Il est donc temps d’agir avant de voir la situation empirer.
Je te laisse ma jolie, je dois céder ma place devant l’ordinateur
Je t’aime
Papa Julien
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