Ma chérie,
J’ai encore trop tardé à t’écrire. Le temps passe à une vitesse folle…
Que d’événements depuis mon dernier message !
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Shanti est partie commencer sa vie d’adulte aux Etats-Unis. Ça a été un déchirement. Pour toi, pour elle, pour nous… La vie sans Shanti est difficile pour tout le monde. Nous pensons à elle tout le temps. Heureusement, Shanti nous aime aussi fort que nous l’aimons : nous recevons des messages presque tous les jours, nous faisons des FaceTime régulièrement… Elle fait toujours partie de notre quotidien même à des milliers de kilomètres. Elle était même revenue passer les vacances de Noël avec nous. Tu te souviens de ce réveillon chez Valérie et Anthony ? Papa Fred en phoque, Shanti en capitaine de bateau, toi en moussaillon et moi en homard ? Nous avions bien ri.
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Calie est partie il y a un peu plus d’un mois. Elle avait 16 ans et demi. Ça a été un coup très difficile. Un véritable uppercut. Nous avons encore du mal à nous en remettre. Tu as retrouvé le
sourire, mais Papa Fred et moi sommes très affectés. Nous avions recueilli Calie très peu de temps après avoir emménagé ensemble. Elle représentait un peu notre vie de couple. Elle a été de toutes nos aventures, de tous nos bonheurs et de toutes nos joies. Indy semblait un peu perdu. Il suffit de dire « Calie » pour qu’il la cherche encore.
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Il y a bien sûr ce COVID qui touche le monde.
Nous avons été confinés deux fois depuis presque 1 an :
Une première fois pendant 2 mois (du 17 mars au 11 mai 2020). Nous n’avions pas le droit de sortir ou seulement pour faire des courses. Tu n’allais plus au collège, mais suivais les cours sur l’ordinateur. Tu as été très courageuse. Tu n’as pas pu voir tes cousines, tes amis… J’ai aimé cette période : nous avons beaucoup joué (tous les soirs), regardé « How I met your mother » (tous les soirs), regardé tes albums photos, cuisiné… Cela faisait du bien d’être tous les 5 à la maison. Calie a aimé ce moment. Indy un peu moins. Tu l’as beaucoup promené. C’était son moment préféré de la journée.
Une seconde fois de fin octobre à mi-décembre.
Tu as pu aller au collège et étais très contente. Voir tes amis est très
important pour toi. La situation n’est pas finie : les vaccins tardent à arriver donc je suis toujours en télétravail et nous évitons de sortir au maximum. Notamment pour protéger Papy et Mamie qui ont emménagé à Vertou juste avant le 2nd confinement. Nous sommes ravis de les avoir à côté de nous. Malheureusement pour eux, la vie n’est pas très normale : ils n’ont pas beaucoup de choses à faire… Cinémas, piscine, musées, restaurants… tout est fermé. Et on parle d’un nouveau confinement…
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Tu as eu tes règles en août dernier (à 11 ans et demi). Mais les vraies sont arrivées à l’automne. Tu as un peu mal, mais t’en sors très bien. Tatie et tes mamies t’ont aidée à comprendre tout ça.
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Tu es en 5ème et adores toujours autant le collège. Tes meilleurs amis sont Maëlys, Léa, Lucie (un peu moins, en ce moment), Manek et Jules. Mais ta vie tourne autour de Roman, un garçon de ta classe dont tu es follement amoureuse. Tu ne parles que de lui, ne penses qu’à lui. Il joue avec toi (il a beaucoup de succès) et te fait souffrir. Nous essayons de t’accompagner dans tout ça, mais sommes un peu perdus. Tu mets tant de passion dans cette relation, tu souffres énormément. Je ne sais pas comment tu vis tes histoires d’amour, au moment où tu lis ces quelques mots. Mais ton moral est au fond du gouffre avec Roman. Tu n’es pas habituée à ce que quelqu’un ne t’aime pas : tes professeurs, tes amis, ta famille, les gens qui te rencontrent… Tout le monde t’adore aussitôt. C’est la première fois que quelqu’un te rejette.
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Ton chagrin est si fort qu’il en devient dangereux. Il montre un vrai manque de confiance en toi. Une façon de penser que je sais ancrée au fond de toi depuis toujours, mais que beaucoup ne voient pas. Tu es comme Papa Fred : vous dégagez de la confiance et tout le monde tombe dans le panneau. Je suis un peu le seul à voir votre vraie nature. A voir que derrière cette carapace de bien-être, vous êtes très angoissés. Je montre facilement mes angoisses. Mais finalement mes angoisses sont moins fortes que les vôtres. Je les partage davantage et cela m’aide à les gérer. Vous avez tendance à les cacher et à vous laisser envahir, parfois. Par exemple, tu as cherché à te faire du mal l’autre jour. Tu t’es volontairement coupé le doigt. Tu consultes Myriam, une psychologue, du coup. C’est nécessaire car la vie va t’apporter des peines bien plus fortes que celle liée à Roman. Et il faut que tu sois plus armée pour y faire face. Que ce rejet ne te fasse pas croire que tu ne vaux rien. Car tu es formidable.
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Papa Fred a changé de carrière. Le voilà devenu fromager. Toi et moi avons lutté ensemble pour qu’il ne prenne pas cette voie. Nous avons vite compris (moi, par ma vie d’enfant, toi par un manque de Papa Fred qui est là depuis toujours) que nous le verrions moins s’il travaillait dans le commerce. Nous avons lutté. Nous avons refusé. Nous avons dit nos peurs, nos doutes, nos craintes… Mais nous avons cédé car il ne cédait pas. Toi et moi, voulons son bonheur. Même si cela doit ternir le nôtre. Papa Fred est ravi. La fromagerie a ouvert fin janvier. Mais toi et moi sommes malheureux. Tu t’ennuies beaucoup et tout étant fermé, je n’arrive pas à t’occuper comme je le voudrais. Papa Fred est très fatigué. Il s’endort très tôt le soir. Il rentre tard, assez épuisé. Avec le sourire, bien sûr, mais moins dispo pour nous. Notre couple est fragile depuis quelques mois. Je revis le traumatisme de ma vie : celui d’avoir été seul jusqu’à mon départ de la maison, à 18 ans. Tu grandis et t’isoles de plus en plus, ce qui est bien normal. Du coup, me voilà vivant mon quotidien seul. C’est une douleur atroce que je n’arrive pas à contrôler. Papa Fred n’a pas compris. Pas compris qu’il nous emmenait vers les pires souvenirs de mon passé. Que j’avais peur de revivre ça, mais surtout de te faire vivre ça. Quand
je m’imaginais devenir papa, je me jurais que jamais tu ne connaîtrais cette solitude-là. Que moi et ton père (je savais déjà que nous serions deux papas), ferions tout pour t’éviter ça. Malheureusement, j’ai échoué. Papa Fred a pris ce chemin. J’essaie de l’accompagner, mais il doit absolument faire des pas vers nous. Car nous sommes, toi et moi, dans un sale état. Les mois à venir vont être cruciaux pour notre famille. Je suis un peu le garde-fou depuis toujours : je vous demande de faire attention à nous trois. Mais vous avez tendance à partir dans votre propre direction et à oublier que nous sommes une équipe, que nous devons nous serrer les coudes, traverser les choses ensemble, avec l’accord de tout le monde… Ce n’est pas facile. Ta maman (et beaucoup d’autres) m’ont souvent dit depuis ta naissance : « Julien, c’est toi qui tiens cette famille à bout de bras. » Je fais de mon mieux, mais je me bats en ce moment pour que vous apportiez votre pierre à l’édifice car il penche dangereusement. Je ne peux pas trop t’en demander. Tu n’as que 12 ans. Mais tu as un rôle à jouer, même si Papa Fred et moi sommes en première ligne pour faire tenir notre couple. Je ne suis pas croyant, tu le sais. Mais je prie pour nous soyons toujours mariés, heureux, quand tu découvriras ce message. Je donne tout ce que j’ai. Tu peux en être certaine. Ton papa est l’homme de ma vie. Je l’aimerai toujours.
Mais son choix nous affecte beaucoup et il faut qu’il corrige des choses pour que notre amour continue de l’emporter.
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Revenons à toi. Tu es toujours aussi jolie. 1,70 m, 55 kg, taille 36/38 côté jeans… On dirait que tu as 16 ans. Les garçons (et les hommes) te regardent dans la rue. Tu commences à t’en rendre compte, je crois.
Le grand truc des garçons de ta classe est de regarder tes fesses (que tu as jolies). Cela te fait rire. On s’assure que ça ne te dérange pas et on te conseille pour que tu te fasses respecter.
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Tu adores coudre, écrire, chanter… Tu aimes cuisiner (cookies, muffins…). Tu es très manuelle. Dès que tu essaies de faire quelque chose avec tes mains, c’est toujours super. Le dessin t’intéresse toujours autant. Lire, pas du tout, par contre.
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Nous sommes aussi complices qu’en face à face. Cela a toujours été comme ça. Tu viens vers moi pour des conseils (et ça me fait très plaisir), mais tu me pousses dans mes retranchements (rangement, horaires…). Pas de dispute entre nous, mais des petites contrariétés. Je suis chanceux.
Bientôt, tu seras moins à la maison et tu me manqueras. Tu deviens ado et as tendance à perdre un peu ton empathie, à avoir un regard un peu noir sur le monde. J’essaie de te montrer qu’il faut se mettre à la place des gens. Tu ne m’écoutes pas beaucoup sur ce point. J’espère que tu retrouveras cette vision sur le monde. Celle d’un monde où beaucoup de gens sont moins chanceux que nous, qu’ils ont besoin d’aide, que nous devons la leur apporter… Tu grandis, mais tu restes quelqu’un de bien. Tu ne fais pas de mal aux gens volontairement. Parfois, tu es un peu comme Papa Fred : un peu trop concentrée sur toi (ça va avec ton âge, c’est normal) et tu ne vois pas que tu as blessé telle ou telle amie. J’essaie de t’apprendre à mieux comprendre ceux qui sont différents de toi. J’ai cet avantage : je te connais bien. Je connais tout le bon que tu as et les quelques noirceurs. Je sais que tu as juste quelques ajustements à faire pour être une amie formidable. Tu es déjà une fille, une petite-fille, une nièce, une cousine formidable. Peut-être que mes conseils et ma façon de voir la vie auront porté leurs fruits ? Tu te confies peu à tes proches, comme Papa Fred. J’essaie aussi de te montrer qu’une vraie amitié se base sur de la confiance et pas seulement sur des bons moments passés ensemble. Léa et Maëlys, qui sont très pudiques et timides, ont besoin de ça. Elles ont vu tes efforts pour les écouter, les aider, te mettre un peu en retrait pour les faire briller. Et elles viennent de te faire une belle déclaration d’amitié, chacune de leur côté. J’ai trouvé que c’était une merveilleuse récompense pour tes efforts. Tu étais fière de toi et avais bien raison de l’être.
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Nous sommes très différents. Ce n’est pas toujours facile. Tu ne comprends pas mes réactions et j’ai du mal à comprendre les tiennes. J’ai la chance d’avoir rencontré ton papa, il y a bientôt 18 ans (!!), de bien connaître ta maman, tes grands-parents génétiques… cela me permet de mieux voir d’où tu tiens tel trait de caractère et de mieux me mettre dans tes chaussures. Mais Papa Fred et moi sommes très différents donc rarement alignés. Nous sommes complémentaires, heureusement. C’est un peu pareil entre toi et moi : différents, mais complémentaires. J’espère ne pas trop te brusquer. Tu grandis et j’essaie de moins te protéger, de te parler plus comme à une grande. Mais je vais peut-être plus vite que la musique ? L’adolescence n’est pas facile : tu sembles très mature parfois et à d’autres moments, très enfantine. Je ne sais jamais trop où placer le curseur. Mais j’essaie. Je t’aime toujours autant. A un moment de ta vie, tu vas regarder en arrière et faire un bilan. Je le redoute. J’ai peur de t’avoir causé du chagrin, d’avoir créé chez toi des douleurs durables… Evidemment, j’aurai commis des erreurs. Mais tu sais que je déteste commettre des erreurs. Surtout pour les gens que j’aime. J’espère que tu me pardonneras. Que l’on parlera de tout ça. Que tu auras assez confiance pour me dire ce que j’aurai raté et assez d’amour pour me pardonner. Être parent est, avec le fait d’être en couple, le plus difficile challenge de la vie. Je m’efforce de réussir, d’être un bon père, mais je me trouve assez nul. Bon sur certaines choses, mais mauvais sur d’autres. J’aimerais être tellement meilleur que ça.
Car tu mérites le meilleur…
Allez, je vais m’arrêter-là, ma chérie. Il se fait tard.
Je t’aime !
Papa Julien (qui a peur pour les mois à venir, mais qui veux y croire)
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